Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

22 janvier 2012

DU VIEUX MÛRIER AU PETIT FAUCHEUX, "PUISQUE RIEN N’EST FINI".

Françoise Tomeno
22 janvier 2012

1976, 77 ?
Un soir au café « « le Vieux Mûrier », « place Plume », comme on dit. C’est un de nos quartiers généraux, avec le café « Le Helder ». Nous ? Les post-soixante-huitards, dont beaucoup galèrent, et dont beaucoup, dont je suis, apprécient la qualité des amitiés qui sont nées dans ces années-là, chaleureuses, affectueuses, soutenantes,  et qui auront la vie longue puisque certaines d’entre elles sont toujours là, bien vivantes, même si on ne se voit pas très fréquemment.

Ce soir-là, je retrouve, comme souvent, des amis, c’est un rendez-vous convenu presque implicitement. Il y a parfois des « nouveaux », qui deviendront, ou pas, des amis, des potes, qui rejoindront un groupe ou l’autre. Les groupes sont nombreux, rarement fermés, bougent, échangent.

Deux espaces au Vieux Mûrier : la salle sur laquelle ouvre l’entrée du café, dotée de fenêtres, c’est là que l’on se retrouve habituellement, et l’arrière-salle, plus petite, plus sombre, sans fenêtre, aux éclairages très softs. C’est plutôt le lieu des rendez-vous plus tardifs de la nuit. Elle m’est moins familière.

 J’ai l’âme mélodique. Je prends depuis peu des cours de chant, et je suis obsédée par une idée : je voudrais chanter « l’Hirondelle du Faubourg » sur les marchés. Allez savoir pourquoi !

Je crois que cette petite hirondelle des faubourgs de Paris me vient des lingères qui travaillaient dans l’établissement que dirigeait mon père à Saint Germain en Laye : Amélie Cortet, dite « Lili », Madame Viaud et son fils adoptif avec lequel nous jouions enfants. Et d’autres dont je ne me souviens plus du nom. Elles avaient la tendresse chaude des corps de femmes qui s’adressent aux enfants. Elles avaient leur franc-parler, le parigot pour certaines, leurs coups de gueule aussi parfois, et leurs rires, leurs rires…. Elles avaient aussi, pour certaines d’entre elles, l’élégance des Parisiennes du peuple.
Cette élégance des gens du peuple qui me ramenait aux origines populaires de ma famille.

Je suis donc au Vieux Mûrier, je bavarde avec les copains. Et tout d’un coup, je lance à la cantonade la petite phrase : « Je voudrais chanter l’Hirondelle du Faubourg sur les marchés ». Patrice, que je ne connais pas, saisit la balle au bond : ça l’intéresse, il joue de la flûte, et il a un copain, Michel, qui joue de l’accordéon diatonique. Et c’est parti, comme dans ces années-là les idées faisaient à toute vitesse des projets, et où l’on n’hésitait pas à se lancer. Un autre de leurs amis est intéressé, Pierre-Yves, qui devient le chanteur. Nous sommes donc un premier quatuor.

Est-ce que le nom que nous prendrons, « Puisque Rien N’est Fini », qui fera « PRNF », et qui est le titre d’une de nos chansons, date de ces débuts ?

Il me semble plutôt qu’il est venu après. Après que Pierre-Yves soit parti vers d’autres horizons, et que Michel, à la voix naturellement magnifique (sans cours de chant, Dieu que j’ai été jalouse….), ait souhaité prendre la place du chanteur. Après la rencontre avec Sylvie, alias Sylvette, qui, elle, devient notre jeune accordéoniste. Sylvette joue de l’accordéon chromatique, et drôlement bien.

« Puisque rien n’est fini » est bien sûr le titre d’une chanson d’amour, malheureux au début, rien ne va plus, mais qui proclame à la fin  que rien n’est fini, « qu’après le sombre hiver, vient le soleil, et les beaux jours ». Nous avons choisi ce titre pour dire combien notre aventure musicale et amicale était « à la vie à la mort ».

Nous avons bien sûr, un jour, fini par finir la musique, mais pas notre amitié, intacte plus de trente années plus tard.

Du Vieux Mûrier du projet, nous voilà faisant les marchés de Tours, puis d’ailleurs. Le marché Velpeau et celui des Halles sont nos marchés préférés. Des bistrots ponctuent nos prestations. C’est que, sur les marchés, nous récoltons un peu d’argent dans la casquette posée à terre, et que les maraîchers et autres vendeurs sont ravis  et nous donnent qui une salade, qui un fromage de chèvre, etc. Nous allons alors au bistrot et offrons la tournée aux copains, aux fans de notre groupe.

À la fin du marché des Halles, nous nous retrouvons au bistrot « La Cave Gaillard », aujourd’hui « Les Trois Écritoires », place du Grand Marché. Je me mettrai à fréquenter ce bistrot quasi quotidiennement, le matin, avant de partir travailler, j’habite alors le quartier. J’aurai plaisir, le matin de bonne heure, à partager ce moment avec les personnes qui travaillent aux Halles depuis des heures très matinales, et qui cassent la croûte à huit heures du matin : pas le café, le petit crème. Non, au fond de la cave Gaillard, il y a un réchaud, et chacun y fait réchauffer sa popote, et les odeurs envahissent le bistrot : ragoût, choucroute, cassoulet, et autres viandes en sauce.

Je pense que mon intérêt et mon affection pour les bistrots date de cette époque-là : merci la musique.

Michel connaît bien Paul Veyssière, le patron du Petit Faucheux. Le Petit Faucheux: bistrot, cabaret? On ne sait pas trop. Le Petit faucheux de ces années-là est encore rue du Mûrier. Le sol est en terre battue, il y a là des étagères à bouquins, on peut y acheter des fripes. On peut aller dans la journée y passer des moments tranquilles, et le soir, y écouter des concerts. Le projet s’ébauche de tâter de la scène. C’est une toute autre affaire que le marché, d’autres enjeux. Le trac apparaît, on soigne les costumes, on travaille l’ordre de passage des chansons, on commence à penser spectacle à thème, dont notre très beau spectacle (oui, je n’hésite pas à le dire…) autour de « La Femme dans la chanson réaliste ». C’est le Petit Faucheux qui accueille cette nouvelle ère de notre groupe. Nous irons ensuite porter nos spectacles plus loin, en Bretagne, dans la région de Montauban, dans d’autres départements de la région. Mais le Petit Faucheux restera notre point d’ancrage. Nous serons très honorés de faire partie de celles et ceux qui feront le spectacle de clôture du Petit Faucheux de Paul, avec Gérard Pierron, Gérard Blanchard et d’autres artistes.


Jusqu’au jour où nous décidons d’arrêter notre groupe : nous avons les uns et les autres d’autres activités, professionnelles ou non, et il se trouve que, pour chacun d’entre nous, s’est présenté en même temps de nouveaux projets. Nous savions aussi que si nous voulions continuer, il nous fallait passer à la vitesse supérieure, et passer « professionnels », aucun de nous n’y était prêts. C’est donc sans douleur et sans déchirement que nous avons, d’un commun accord, clos le groupe. Il nous restait de l’argent des recettes des spectacles, nous sommes allés le « manger » dans un très bon restaurant de Cormery.

C’est à ce moment-là que Michel reprendra, lui, la direction du Petit Faucheux, et en fera, au fil des années, une des plus grandes salles de Jazz de France.



Et  notre hirondelle des faubourgs ? Elle nous aura suivi partout, sur les marchés, je pense qu’elle a dû faire partie de quasiment tous nos spectacles.

Si l’hirondelle ne fait pas le printemps, elle peut, malgré, et au-delà du pathos des paroles de la chanson, apporter sa petite touche d’oiselle chanteuse. Elle a bien fait de s’inviter au Vieux Mûrier.