Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

19 février 2012

LA REINE DELPHINE EN SON JARDIN

C’est un très beau jardin de France, avec ses pelouses, où les jeunes du lycée voisin viennent se rassembler à la belle saison pendant les pauses, avec ses arbres, à la majesté nuancée par une certaine familiarité avec les arbres des contes, avec ses essences rares, ses senteurs de rêve dès l’arrivée du printemps, ses pièces d’eau, ses canards et ses cygnes, retrouvés comme de vrais compagnons de route à chaque passage. De quoi me réjouir d’être obligée de me garer loin et de devoir traverser le jardin. Le kiosque me fait chaque fois rêver d’aller y chanter. Parfois, l’un ou l’autre, de bonne heure, fait ses exercices de Taishi ; me revient alors en mémoire les jardins de Pékin, petits ou grands, où l’on croise ainsi, au petit matin, dans un calme qui apaise, le pékinois ou la pékinoise qui, faisant fi de tout regard et de toute attention, s’est lancé dans ces beaux mouvements qui s’enchaînent avec grâce.

Règne ici une personne de marque, puisqu’il s’agit du Sieur de Ronsard, Pierre de son petit nom. Oui, tel un roi, il trône ici, entouré de ses roses, qu'il raille avec douceur dans ses poèmes, oublieux de ses propres flétrissures. Il accueille le visiteur qui pénètre dans le jardin par l’entrée principale.

Tout allait ainsi lorsque vint s’installer, face au Seigneur de ces lieux, une princesse légère et souriante. La ville lui avait accordé une sorte de maison de bois, dont l’intérieur était si petit qu’elle seule pouvait y tenir. Mais la princesse aimait la compagnie, et sur la terrasse qui prolongeait la maison, elle offrait à boire et à manger. On s’installait sous la pergola, ou à l’extérieur. Les jours où la pluie venait nous surprendre, on se repliait sous l’abri de bois, sous les jasmins, et l’on se serrait pour être le moins mouillé possible.

La princesse était sans doute également un peu fée puisqu’il suffisait de venir deux ou trois fois pour faire connaissance avec l’un, avec l’autre. Elle installait là, dans ce petit espace face au roi, une ambiance d’attention, légère, et cependant présente, comme elle l’était elle-même. Le roi Pierre n’en prenait pas ombrage.

La princesse ne venait dans sa maison de bois qu’à la belle saison, et trouvait cela dommage. Elle fit part au Maire et à ses collègues de son souhait que soit installée en ce lieu une maison un peu plus grande, un peu moins rudimentaire, où elle pourrait accueillir ses visiteurs hiver comme été, avec une vraie cuisine, et toujours la fameuse terrasse, mais plus grande également. Elle était tellement convaincue, la princesse Delphine, tellement obstinée, si patiente aussi, qu’elle finit par obtenir cette nouvelle maison. Et l’on revit la princesse dès novembre. Princesse ? Que dis-je… Elle en avait profité pour devenir reine, ce sont des choses qui arrivent.

Elle régnait donc là, accueillant les hôtes de passage, pour un café, un repas qu’elle composait avec amour, des potions tel ce délicieux cidre chaud aux épices, que j’ai dégusté avec plaisir, un de ces beaux jours de neige qui donnait au jardin une allure de paysage canadien. Il m’avait bien réchauffé l’âme.

La reine avait compris que j’aimais le poisson. Vous savez ce qu’elle faisait ? Le jour où elle savait que je venais, elle faisait toujours un plat de poisson, attention délicate.

Après les grands frimas, le jardin se découvrit, avec ses jeunes pousses que les gardiens et les jardiniers avaient pris soin de préserver du passage intempestif de petits pieds avides de fouler le beau tapis blanc. Les oiseaux commençaient à croire au printemps. Chacun avait le sourire.

Je m’étais installée comme d’habitude. Toutes les tables étaient prises. Une belle femme au sourire rayonnant arrive, salue Delphine, qui lui propose de revenir dans cinq minutes. Je propose alors à cette belle dame de s’installer à ma table. Sourires dans la salle : tous ici savent que c’est comme ça chez la reine Delphine. Presque tous. J’entends à la table d’à côté une femme expliquer à son vieux papa qu’ici, au bout d’un moment, tout le monde connaît Delphine, et que les liens se font tout seuls.

Je parle avec cette charmante personne, que nous appellerons Armelle. Vous habitez dans le quartier ? Et vous ? Moi, je travaille à deux pas. On parle du jardin, de la période où Armelle venait tous les jours à la sortie de l’école avec ses enfants. Et puis, c’est inévitable, nous parlons de Delphine, de son sens de l’accueil, de son sourire, de sa gaieté. Armelle commente : « Elle est comme une reine, ici, Delphine ». Je jubile… J’avais commencé à bricoler depuis un moment ce que j’allais écrire sur le bistrot de Delphine, et j’avais déjà décidé de la faire reine. Je le dis à Armelle, nous rions. Lorsque Delphine s’approche, nous lui disons que nous lui attribuons le titre de reine. « Princesse, reine, fée, magicienne, et même sorcière… enfin non, pas sorcière… quoique ! » commente Delphine.

Si vous passez par ce beau jardin de France, prenez la peine de vous arrêter chez la reine Delphine. Goûtez ses inventions, toujours renouvelées, n’ayez pas peur de ses potions, elles apportent toutes le sourire.

Quant à vous, mon cher Pierre (vous permettez que je vous appelle Pierre ?), vos roses n’ont qu’à bien se tenir. L’âme de la reine Delphine est de celles qui ne flétrissent pas avec l’âge. Nonobstant, vous demeurez le Roi, et vos poèmes restent de ceux qu’on aime à se redire. Mais vous avez désormais, juste en face de vous, une bien belle compagnie en la personne de la Reine.


ÉPILOGUE

Vous souriez, sire ? Vous n’êtes pas froissé des fantaisies que je viens de vous adresser et des libertés que j’ai prises envers vous ?

Que dites-vous ? Ah, ce sont les premiers vers de votre Ode à Delphine…. ? Je m’éclipse, alors, vous laissant à votre écriture.

Au passage, je vous salue, Reine Delphine ; je vous dis à tout bientôt, pour un de ces poissons que vous aurez fait mariner dans Dieu sait quelle potion dont vous avez le secret, sans oublier le « Blanc Manger » à la violette, garni de ses bonbons à la violette de nos enfances, qui ont laissé un goût de madeleine de Proust dans mes Papilles Gourmandes.

Mes hommages, Madame la Reine.

Françoise TOMENO 19 février 2012











Source d'image:Histoires de cartes